REISHIKI ou le cœur du Budo

Publié le 10 Décembre 2013

Quoi de plus important, de plus primordial que de connaître tous les aspects d’un Budo lorsqu’on est un pratiquant ?

Voilà une question intéressante que chacun devrait se poser, la pratique d’un art martial quelle qu’elle soit, doit se faire dans sa globalité. Le plus infime détail a son importance, trop souvent à mon avis l’étiquette est faîte « parce qu’il faut la faire » et même j’irais jusqu’à dire qu’elle est galvaudée la plupart du temps. C’est pour moi une profonde tristesse que de voir par exemple un pratiquant ne pas saluer correctement son sabre ou même ne pas apporter d’attention à connaître les commandements de début et fin de Keiko. C’est la première pierre d’un édifice, la base de toute une pratique, la colonne vertébrale du Budo, une forme de respect des anciens temps et de leurs guerriers. La pratique n’est rien sans cet aspect, elle est vide de tout sens, autant aller fendre des bottes de pailles dans son jardin si le seul but est de pouvoir manier une lame. Le Reishiki est un devoir de mémoire, il doit être effectué comme un kata.

Avant de pouvoir courir, il faut apprendre à marcher et donc avant de savoir faire les choses il faut en connaitre la définition, le but premier, cela aide à être au plus prêt des choses. L’étiquette, aussi appelée bienséance, est un ensemble de règles, de normes, appelées « bonnes manières » qui gouvernent le comportement en société.

Il n’existe pas une, mais des étiquettes, chacune à sa raison d’être. Le point qui pour moi a une grande importance est ce que l’on met dans la réalisation de l’étiquette. Sans esprit et sans cœur elle n’aurait aucune raison d’être, elle serait vide. Le débutant doit pour commencer, se limiter à mimer l’ancien lors du Reishiki, cela implique que l’enseignant et les plus anciens du Dojo lui montrent la forme juste, une étiquette « simple ».

L’apprentissage des gestes techniques et de ceux de l’étiquette doit être simultané dès le début et de manières progressives en fonction du niveau de compréhension de chacun. Le temps de l’étude ne lui donnera que plus de profondeur.

Au fil des années de pratique le shugyosha ne réalise plus l’étiquette, il la vit, elle émane de lui dans chacun de ses mouvements, elle devient un aspect naturel de sa personne. Son attitude générale devient élégance sans fioritures ou artifices, il devient impossible de la percevoir tant l’implication du pratiquant est grande. C’est vers cela que nous devons nous diriger dans notre pratique quotidienne. Mais ne nous pressons pas, la pratique dure une vie entière, vouloir aller trop vite nous ferez manquer les détails et autres finesses de l’étude du budo.

L’étiquette est aussi un moyen de sécuriser la pratique, elle est là pour nous aider à pratiquer dans les meilleures conditions, elle évite une grande partie des risques liés à la pratique d’un Budo.

Pour donner une image de l’apprentissage du Reishiki, je le vois comme le polissage d’une lame, au début on part d’une forme grossière, brute, ensuite cette dernière devient agréable au regard mais encore sans danger véritable pour au final être d’une mortelle beauté.

L’un des grands maîtres en cérémonial de la fameuse école Ogasawara a dit : « Le but de toute étiquette est de permettre à un homme de cultiver suffisamment son esprit pour que même assis dans la plus sereine des attitudes, la pire des brutes n’ose pas l’attaquer ».

Cela veut dire que s’efforcer à réaliser des exercices constants dans la voie du savoir vivre, on forme son corps tout entier et nos facultés pour être en harmonie intérieure et extérieure.

Les attitudes justes sont de la puissance au repos.

« Les hommes à l’étiquette la plus parfaite étaient les hommes les plus à craindre »

KURODA Sensei

Au Japon, le rei (礼, rei) est un code de courtoisie et de bienveillance dont le but est d'établir une hiérarchie et ainsi de donner une place à chaque membre de la société afin d'établir une paix sociale. C'est une des vertus principales du budo et précédemment du bushido. Les bases de ces règles sont dérivées surtout du Confucianisme.

Le caractère REI (礼) est composé de 2 éléments : SHIMESU et YUTAKA.

SHIMESU : l’esprit divin descendu habiter l’autel
YUTAKA : la montagne et le vase sacrificiel de bois qui contient la nourriture : deux épis de riz, le récipient débordant de nourriture, l’abondance.

Ces deux éléments réunis donnent l’idée d’un autel abondamment pourvu d’offrandes de nourriture, devant lequel on attend la descente du divin… la célébration.

REI se traduit simplement par salut. Mais il englobe également les notions de politesse, courtoisie, hiérarchie, respect, gratitude.


GI : l’homme et l’ordre. Désigne ce qui est ordre et qui constitue un modèle.

REIGI est donc à l’origine ce qui gouverne la célébration du sacré. Il est probable que ce sens se soit ensuite étendu aux relations humaines lorsqu’il a fallu instaurer le cérémonial qui régissait les relations hiérarchiques entre les hommes. »


REIGI ou REIGI SAHO : comportement qui exprime la politesse, la courtoisie et la sécurité dans et hors du Dojo. Il est l’expression du respect mutuel à l’intérieur de la société. On peut aussi le comprendre comme le moyen de connaître sa position vis à vis de l’autre. On peut donc dire que c’est le moyen de prendre conscience de sa position. Il s’agit d’une attitude empreinte de respect d’autrui par des dispositions immuables d’une étiquette (Reishiki). Le salut (Rei) n’est qu’une expression de cet état d’esprit du Budoka.

Plus que dans tous les autres arts martiaux, l'étiquette (Reigi) joue un rôle très important dans l’Iaïdo où elle est particulièrement élaborée, tatillonne et ponctuée d'un grand nombre de marques de respect (au sabre, au Dojo, etc.).

Le Reigi est un code comportemental investi de mémoire et de culture, dont la marque principale est le respect. Respect envers le lieu, la mémoire, les objets, les professeurs, les anciens et tout un chacun. Et bien entendu, respect de soi-même. Jamais il ne doit être traité comme une simple formalité, une lourdeur protocolaire, voire un vestige de cérémonial ancien dont on ne sait plus vraiment ce qu’il signifie.

Par exemple :

  • Comment s’habiller correctement
  • OBI NO MUSUBI KATA : comment attacher le Obi
  • Comment demander l’autorisation d’entrer et de suivre un Keiko. KEI : idée de dépasser, KO : ce qui a été réalisé avant
  • Attitude respectueuse pour recevoir l’enseignement
  • Comment évoluer en toute sécurité dans le Dojo
  • Gestes sécuritaires par rapport à soi-même, au sabre, aux autres
  • Comment tendre un sabre et le recevoir des mains d’un tiers

RESPECTER L’ETIQUETTE

Saluer en pénétrant dans le Dojo : c’est commencer à rompre avec le quotidien, il serait dangereux de passer de la vie de tous les jours, avec son lot de stress et de contrariétés, à une situation de combat, sans rupture importante et nette.

L’ablution des pieds : surtout lorsqu’on travaille sur tatami, au-delà de l’hygiène élémentaire pour soi ou les autres, permet de réveiller une sensibilité engourdie par journée de chaussures trop serrées. Un bon Shisei (posture, attitude, tenue) passe peut-être par là.

Se vêtir consciencieusement : c’est la certitude de ne pas avoir à s’occuper d’une ceinture qui tombe, ou d’un hakama sur lequel on marche lors d’un assaut. C’est aussi ne pas faire perdre de temps à un partenaire pendant qu’on se rhabille en cours d’exercice.

Se mettre en Keikogi : implique que les vestiaires gardent les vêtements civils. Fini les belles cravates ou les costumes coûteux, chacun doit être « vrai », le « paraître » n’existe plus.

Saluer le Tatami ou l’espace d’exercice : consomme la rupture avec le monde extérieur. Soucis et facilités restent derrière soi. Là pas de téléphone désagréable, ni de secrétaire pour assumer.

Se mettre en Seiza et faire Zazen : un instant qui donne le calme à l’esprit. La respiration s’apaise, le cœur aussi. Le corps repose sur le sol, équilibré et droit. Les tensions disparaissent peu à peu, les épaules se détendent et descendent à leur place. On devient de plus en plus réceptif.

L e salut au Maître : met en état d’élève, l’esprit s’assouplit (Junanshin)

Répondre à un salut : pour la pratique met en état de partenaire. Lorsqu’on est détendu, on peut apprendre, étudier sérieusement, tout en pratiquant dans la bonne humeur et la cordialité.

Plier son Hakama correctement : respectant les plis, prépare la prochaine leçon, on pourra ainsi mieux se concentrer dès le vestiaire, sans avoir à en démêler les attaches.

Extraits tirés du livre de Dominique ANDLAUER « Vertu & richesse de l’étiquette dans les arts martiaux traditionnels japonais » aux éditions AMPHORA

Dans l’IAIDO l'un des points primordiaux est l’Etiquette ou REISHIKI (aussi appelée REIGI ou REIGI SAHO).

Le sabre avait pour les Bushi un pouvoir redoutable.
C'est une arme extrêmement dangereuse qui peut tuer et à laquelle le Bushi confiait sa vie. Il n'est donc pas surprenant que son emploi et son maniement soit entourés de marques de respect.

Ces marques de respect sont en partie inhérentes à la culture traditionnelle Japonaise. Elles viennent aussi du sabre lui-même. Son utilisation au combat peut amener au dernier échelon de la sauvagerie. L'étiquette est un moyen de revenir à l'humanité.

C'est sans doute pour cette raison que les entraînements dans les arts martiaux Japonais et notamment dans le Kendo et l’Iaïdo commencent et se terminent par des saluts.

Voici quelques réflexions de différents Sensei, en rapport direct avec l’étiquette et son importance.

Hino Akira sensei dit du Reigi Saho qu’il permet de mesurer la valeur et l’esprit d’un homme en un instant. C’est une chose importante au quotidien mais vitale dans le cadre d’un combat ou d’un duel. De nombreux préceptes martiaux insistent sur le respect de l’étiquette, dans le passé l’étiquette avait de réelles implications au niveau martial. Elle développée plus particulièrement par l’Ogasawara ryu* afin de couper cout à une violence ultra présente à l’époque du Japon féodal, elle était présente afin de faire ressortir une sérénité nécessaire. Elle aidait l’homme à ne pas succomber à ses instincts les plus primaires et sauvages. Le reigi permettait à son interlocuteur que l’on avait aucune intention agressive tout en se prémunissant d’une attaque en ne laissant aucune ouverture.

Ogasawara ryu : école traditionnelle japonaise d’arts martiaux et de l’étiquette (voir http://www.ogasawara-ryu.com/fr/indexf.html)

L’étiquette est aujourd’hui le reflet de l’enseignement reçu par le pratiquant mais en aucun cas le niveau du pratiquant.
P. Krieger

Nous pouvons trouver, pratiquants d'aujourd'hui, la possibilité au travers de l'étiquette et de la pratique dans le DOJO, d'effectuer une véritable transformation de nous-mêmes.

J. Raji

« Dans le Budo, quelle est la vérité qui se cache, ou se traduit derrière l’étiquette, les salutations,

l’ordre ... ? C’est le respect. Respect du lieu, respect de l’arme que l’on utilise. Nous essayons de faire passer cette notion universelle avec des gestes japonais. L’extérieur d’une salutation est japonais bien que le sens profond reste valable pour tous. A la limite, certains japonais ont tendance à oublier cette relation quasi-universelle et pensent qu’ils sont presque les seuls à posséder ces qualités de noblesse, d’efficacité, de sensibilité. »

P. Krieger

« Ce qui est important dans la tradition, ce n’est pas de refaire les mêmes choses que celles qui ont été faites il y a trois cents ans, mais c’est de retrouver l’esprit dans lequel elles l’ont été, et qui aurait surement donné autre chose à une autre époque, avec d’autres gens »

P. Valery

Le REISHIKI est-il en danger ?

Oui et non selon moi, oui car on remarque que dans bon nombre de dojo les principes de l’étiquette ne sont plus ou très peu respectés, pire ils ne sont par moment même pas enseignés.

Quelle en est la raison ? Peut-être l’aspect compétition dans certains arts martiaux a-t-il pris le dessus sur les valeurs que peut apporter le reishiki dans notre pratique.

La compétition n’a pas de responsabilité dans ce problème récurrent, mais plutôt la vision que l’on peut en avoir, elle n’est pas là pour écraser son adversaire mais pour se surpasser, elle n’est pas là non plus pour faire de nous des êtres supérieurs aux autres mais elle permet de s’ouvrir aux autres et elle ouvre de nouveaux objectifs techniques dans la pratique.

J’ai gouté à la compétition et j’ai vu 2 genres de compétiteurs, celui qui est là pour éprouver sa technique et s’éprouver soi- même et celui qui vient pour gagner et imposer sa supériorité, en allant même jusqu’à se transformer en quelqu’un de froid, calculateur et même tricheur.

Dès le plus jeune âge les valeurs dans un budo devraient être une évidence, d’autant plus que les enfants sont des « éponges » qui ont une énorme capacité à apprendre.

Le fait que cela ne soit pas chose courante dans l’enseignement martial, fait que ces jeunes deviennent plus tard des pratiquants adultes uniquement accès sur la technique et la force. D’un Do on passe malheureusement à un entrainement sportif, la technique est peut être là mais à mes yeux elle est vide.

Heureusement ce n’est pas une fatalité, car des maîtres et pratiquants sont en demande de revenir à la base de la pratique. Grâce à cela les Budo modernes vivent pour moi un renouveau et si cette envie de remettre le REISHIKI en place se perdure nous pourrons peut-être toucher du bout du doigt l’essence même du BUDO.

Si le respect de l’étiquette ne faisait qu’apporter un peu de grâce à nos manières au sein du dojo mais aussi dans la vie quotidienne, cela serait déjà une belle invention humaine. Réduire l’étiquette à ça serait une erreur cependant, la bienséance n’étant au fond que la conséquence de mobiles plus nobles qu’un bien être égoïste dans nos vies, on peut parler de bienveillance et de modestie en lien direct avec le ressenti des personnes qui nous entourent.

Je ne suis qu’un pratiquant, je n’ai pas l’expérience d’un maître et je ne suis pas un enseignant, je suis conscient que bien d’autres en savent autant et même beaucoup plus que moi. Il serait prétentieux de ma part, d’affirmer que tout ce que j’écris est vérité, ce travail n’est que le résultat de mes recherches, de mon vécu en tant que pratiquant et des échanges avec mes compagnons de sabre si des erreurs apparaissaient dans cet article, j’en réclame l’entière paternité. J’en profite pour remercier certaines personnes qui m’ont aidé directement ou indirectement à élaborer ce travail de recherche.

Tout d’abord je voudrais remercier particulièrement Jean-François DEBACQ, il est mon premier maître et le sera toujours, je sais toute l’importance de ce mot et je l’emploi en toute connaissance. Il a su me donner l’envie de travailler durement et le plus proche de l’esprit d’origine dans la pratique de l’iaido. C’est lui qui a fait germer en moi cette notion de respect de l’étiquette et lui en serrais éternellement reconnaissant.

Grâce à lui j’ai rencontré d’autres grands hommes du Iai, ce sont ces rencontres tout le long de notre apprentissage qui font notre pratique.

Merci à Bernard REIS du KENBUKAN de Saint Quentin, pour sa bienveillance et sa pédagogie.

A Jean-Jacques SAUVAGE, pour sa générosité indiscutable, sa disponibilité et sa connaissance des Budo.

A Jean-Claude RICHAUD, pour m’avoir ouvert à un aspect nouveau de ma façon de pratiquer, grâce au travail du Kenjutsu et pour sa confiance lors de séances j’ai eu l’occasion d’encadrer et qui m’on fait évoluer dans ma pratique.

A Dominique ANDLAUER, pour sa bienveillance lors des cours qu'il a donné, pour sa vision du monde du Budo et pour son ouvrage « Vertu & richesse de l’étiquette dans les arts martiaux traditionnels japonais » aux éditions AMPHORA, qui m'a donné l'envie et guidé dans ce premier article que je publie.

A tous mes camarades du dojo car j’ai trouvé un équilibre grâce à eux, nous avons la même vision de la pratique, le partage entre nous m’a énormément apporté. J’espère partager encore de nombreux moments de rires, épreuves, joies et comme O Sensei disait si bien, que notre pratique soit pleine de feu et de joie.

Donc merci à mes ami(e)s

Rémi, Pierre Olivier (Alias SERGIO KIKI), Eddie, Joëlle, Jérôme, Stéphane, Olivier, Jean Marc, Cyril, Florentin.

Un grand remerciement à Rémi qui m’a aidé directement dans ce travail, grâce à ses recherches, ses connaissances et nos échanges.

Pas de précipitation laisse le temps au temps. L’étiquette se révélera chez chacun de nous sans obligation.

Il faut qu’elle reste souple, tout en étant rigoureuse et sincère.

Mathias.

à lire et relire tout le long du chemin, afin de ne pas se perdre...

à lire et relire tout le long du chemin, afin de ne pas se perdre...

Le budo c'est une histoire de rencontre, de partage, d'amitié merci au ronin des bois et à sergio kiki ;)

Le budo c'est une histoire de rencontre, de partage, d'amitié merci au ronin des bois et à sergio kiki ;)

Rédigé par Mathias Capron

Publié dans #Traditions

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R
Merci :)<br /> L’étiquette se fait pour soi même, mais aussi pour parce-que que l'on fait face a l'autre ... merci d'être cet &quot;autre en face&quot;, celui qu'on nomme uke et qui mérite l'exigence de l’étiquette dans sa forme mais bien plus encore dans son fond !<br /> Remi
Répondre
M
Merci à toi, j’espère que nous partagerons d'autres moments martiales ou non mon ami. L'étiquette mérite qu'on s’efforce à la faire vivre ;)